ExclusifLigue des champ. : « J’ai conseillé à Clément Turpin de rester naturel le plus possible » (M. Vautrot)
« La Commission des arbitres de l’UEFA
Union des Associations Européennes de Football
désigne Clément Turpin (FRA) pour arbitrer la finale 2022 de la Ligue des champions entre le Liverpool FC
Activité : club de football professionnel anglais
Partenaires principal :
• Standard Chartered (banque) : sponsor maillot principal, depuis 2010-11, jusqu’en 2026-27, 30 M£ en 2018-19, 40 M£ par…
(Premier League
Ligue professionnelle qui gère la Premier League, la 1ère division professionnelle anglaise (20 clubs).
) et le Real Madrid CF
Activité : club de football professionnel espagnol
Partenaires majeurs :
• Emirates (compagnie aérienne) : sponsor maillot principal, 2013-2026, pour 70 M€ / saison (+7 M€ de bonus en fonction…
(LaLiga Santander
1ère division espagnole (20 clubs) ; contrat de naming de la banque Santander pour 2016-2023
), au Stade de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis, FRA), le samedi 28/05/2022 à 21 heures », a annoncé l’instance européenne le 11/05/2022.
Clément Turpin est le sixième Français à arbitrer une finale de la plus prestigieuse des Coupes d’Europe, après Robert Héliès (1972), Michel Kitabdjian (1975), Robert Wurtz (1977), Georges Konrath (1982) et Michel Vautrot (1986).
1986 - 2022 : cela faisait donc 36 ans qu’un arbitre français n’avait pas officié lors de ce grand rendez-vous européen. Clément Turpin, qui vient d’avoir 40 ans, a téléphoné à son lointain prédécesseur Michel Vautrot, qui avait le même âge en mai 1986. Pour partager sa joie et non lui demander conseil : « Des conseils, je lui ai dit que c’était à lui de m’en donner, pour que je comprenne l’arbitrage moderne, tellement il a changé. La seule piste que je lui ai donnée est de rester naturel le plus possible, même si c’est très difficile sur ce type de rencontre », affirme Michel Vautrot à News Tank le 26/05/2022.
Sa finale 1986 ? La première après le drame du Heysel et ses 39 morts. Des clubs anglais au ban de l’Europe. Steaua Bucarest (ROU) - FC Barcelone (ESP) : 0-0, 2-0 au tirs au but, à Séville (ESP) le 07/05/1986. « J’ai l’impression que c’était hier et je pourrais raconter tous les détails de cette journée particulière, tant ces heures sont gravées dans ma mémoire », assure l’ancien arbitre français.
« Durant 120 minutes, c’est simple : il ne se passe rien. Cette finale est une purge absolue. Le FC Barcelone est en-dessous de tout. Le Steaua ne sort pas de son organisation. Michel Vautrot, l’homme en noir, est le meilleur sur le terrain. De loin. Dans son édition du lendemain, L’Équipe qualifiera ce match de “médiocre” », raconte Eurosport le 22/04/2022 dans un article consacré au gardien roumain Helmuth Duckadam, qui a réussi l’exploit inouï -et inégalé à ce niveau- d’arrêter les quatre tirs au but du Barça, les trois premiers sur sa droite, le quatrième côté opposé.
La finale 1986, la finale 2022 et l’évolution de l’arbitrage, tels sont les trois thèmes que développe « sérieusement, mais sans se prendre au sérieux » Michel Vautrot, que ni l’UEFA ni la FFF
Fédération Française de Football
n’ont songé à inviter au Stade de France pour un passage de témoin. Il répond aux questions de News Tank.
L’arbitrage en 2022. « La VAR, je suis philosophiquement contre »
Que pensez-vous de l’arbitrage en 2022 ?
On sanctionne plus les erreurs que l’on valorise les bonnes décisions »Je suis admiratif quand je vois la condition physique des arbitres d’aujourd’hui. Un type comme moi avec mes qualités de l’époque ne serait même pas reçu à l’examen fédéral actuel pour le National 2. Je regrette, en revanche, que nos arbitres semblent fondus dans le même moule et formatés au point de ne plus en voir beaucoup qui soient charismatiques. Le maître mot est devenu l’uniformisation, mais à mes yeux, l’arbitrage ne peut pas être robotisé et chaque arbitre devrait pouvoir apporter sa touche liée à sa personnalité avec un seul but : ne pas fausser la partie. Ils sont enfermés dans des systèmes de notation où l’on sanctionne plus les erreurs que l’on valorise les bonnes décisions.
Votre avis sur la goal line technology ?
C’est un confort pour l’arbitre et son assistant car c’est humainement impossible de voir si le ballon a franchi de quelques centimètres la ligne. Mais entre nous, ça arrive combien de fois sur une saison ?
Et la VAR Video Assistant Referee (assistance vidéo à l’arbitrage) ?
Je suis philosophiquement contre et j’ai toujours dit qu’une erreur d’arbitrage était celle qui se voyait à l’œil nu. Certes, j’aurais été heureux que l’on me prévienne que je m’étais trompé, mais comme disait Aimé Jacquet, cela peut devenir un « oreiller de paresse ».
Je préfère le gendarme au radar »Cette question, en fait, est un piège pour moi car il faudrait des pages pour expliciter ma position entre le pour et le contre. Je préférais qu’un gendarme m’arrête pour me faire la leçon quand je roulais trop vite au centre-ville plutôt qu’un radar me verbalise avec la froideur de la machine qui ne fait aucune distinction par rapport au contexte : il y a quand même une différence de dangerosité entre midi et minuit…
Aujourd’hui, le buteur ne sait plus s’il doit laisser exploser sa joie ou attendre le replay »Je le dis sans ambages : ce n’est plus mon foot. Il n’y a pas la VAR Video Assistant Referee (assistance vidéo à l’arbitrage) quand un grand joueur expédie de manière inattendue le ballon dans les nuages sur pénalty ou manque un but qu’un minime aurait marqué. C’est ce qui fait le charme de ce jeu. Aujourd’hui, le buteur ne sait plus s’il doit laisser exploser sa joie ou attendre le replay. La vidéo a rendu ridicule le jugement chirurgical d’un hors jeu pour un poil de nez. C’est contre l’esprit du jeu.
Quant aux mains, plus personne n’y comprend rien, moi le premier ! J’ai abandonné, il faut sortir des hautes écoles pour comprendre le nouveau texte de loi. Et tout résulte d’un malentendu : on a oublié que l’application des lois du jeu reposait sur l’interprétation qui est faite par des humains, d’où parfois des oppositions entre l’arbitre qui siffle et celui qui est dans la cabine… En tout cas, un constat objectif : la VAR Video Assistant Referee (assistance vidéo à l’arbitrage) devait gommer toutes les discussions, il n’y en a jamais autant eues. Et quand on en connait le coût !
Il n’en reste pas moins qu’une grossière erreur n’est plus acceptable de nos jours avec les moyens techniques modernes ?
Une solution n’aurait rien coûté : un écran TV devant le 4° arbitre »Il est clair que la « main de Dieu » de Maradona (Coupe du monde 1986) ou l’agression de Schumacher contre Battiston (Coupe du monde 1982) sont indéfendables. Personnellement, j’aurais suggéré une solution qui n’aurait rien coûté : installer un écran TV devant le 4° arbitre pour alerter l’arbitre dans les cas les plus flagrants comme ceux que je viens de citer ou lors d’un pénalty sifflé pour une faute commise en dehors de la surface. Pour le reste, je ne suis pas certain qu’un football aseptisé soit la solution car il se nourrit aussi de passions autour des commentaires.
Quel est votre avis, à ce propos, sur le traitement de l’arbitrage par les médias ?
Certains consultants de l’arbitrage ont oublié qu’ils avaient été arbitres »Les médias sont là pour parler des trains qui arrivent en retard, pas de ceux qui arrivent à l’heure. A ce niveau, l’arbitre est un homme public et doit donc accepter la critique, même si elle peut paraitre injuste. L’arrivée de consultants de l’arbitrage aurait pu rééquilibrer la balance, par rapport à ceux dont le métier n’est pas de connaître le règlement, mais à en entendre certains, on dirait qu’ils ont oublié qu’ils avaient été arbitres et n’aimaient pas être critiqués. A les entendre nous dire ce qu’il fallait ou faut faire, j’ai l’impression qu’ils ont arbitré plusieurs Coupes du monde ou même une finale de Ligue des champions… J’ai eu la chance d’échapper aux réseaux sociaux - je dirais même « asociaux »- et à ceux qui crachent leur venin ou leur frustration sous des pseudos qui les rendent anonymes.
Mais l'IFFHS
International Federation of Football History & Statistics (Fédération internationale de l’histoire et des statistiques du football)
• Fondée le 27/03/1984 à Leipzig (ALL).
• Enregistrée à Zurich (SUI)
(International Federation of Football History & Statistics) vous a consacré deux fois « meilleur arbitre du monde » (en 1988 et 1989) et le magazine France Football vous a désigné 10 fois « arbitre n° 1 » ?
La vraie consécration, c’est la poignée de main des perdants »
C’est bien la preuve qu’ils n’y connaissent rien ! Le meilleur arbitre n’existe pas et n’existera jamais. Il y a en a des plus doués que d’autres pour atteindre le haut niveau ou qui font moins d’erreurs, mais tous ont le même mérite car l’arbitrage est un sacerdoce qui est la vraie école de la vie. Pour moi, la vraie consécration, c’est la poignée de main des perdants.
Que pensez-vous de la proposition de diffuser à la télévision les propos tenus par les arbitres ?
La diffusion des propos de l’arbitre ? J’ai été le premier à l’expérimenter »Là encore, impossible de répondre en quelques lignes, mais l’expérience a déjà été faite et n’a pas été forcément concluante. J’ai été le premier à l’expérimenter dans le cadre du Mondial Minimes à Montaigu avec le regretté Eugène Saccomano qui en assurait la diffusion sur la radio Europe 1. Une fois, j’ai dit : « J’arrête le jeu car il y a un corps étranger sur le terrain. » Ce « corps étranger », c’était le soigneur qui était belge. C’était le terme technique, mais tout le monde a cru que je faisais de l’humour sur sa nationalité… On se sert de l’exemple du rugby, mais là il y a une malhonnêteté intellectuelle : les joueurs ne contestent jamais et ne simulent pas en permanence. Et si on commençait par le commencement avant de mettre le micro ?
Quelles améliorations préconiseriez-vous ?
Pourquoi vouloir toujours changer ce qui marche bien ? »Je sais par expérience que celui qui n’avance pas recule. Mais pourquoi vouloir toujours changer ce qui marche bien ? Le football n’a jamais été autant populaire alors qu’il a été inventé il y a plus d’un siècle. Un stade de 200 000 places aurait été rapidement rempli pour cette finale 2022 Liverpool - Real Madrid. Je n’ai jamais compris pourquoi on met un carton rouge à celui qui empêche un but d’entrer dans ses filets et seulement un jaune à l’attaquant qui triche pour marquer comme on en a vu par le passé…
Six arbitres féminines sélectionnées en vue de la Coupe du monde 2022
XXIIe édition de la Coupe du monde de football, attribuée au Qatar le 02/12/2010. Initialement prévue du 21/11 au 18/12/2022, elle débute finalement un jour plus tôt, le dimanche 20/11/2022 sur…
au Qatar : quel regard portez-vous sur cette innovation ?
La crédibilité de l’arbitrage féminin passe par le fait qu’elles soient désignées pour leurs qualités et pas pour leur genre »
Je me réjouis que la FIFA Fédération Internationale de Football Association fasse tomber des barrières pour sa compétition reine et dans un pays pas spécialement ouvert à cette évolution. Je peux en parler car c’était un point qui me tenait à cœur lorsque j’étais à la tête de l’arbitrage français et dans les commissions internationales. Je me souviens quand il fallut expliquer que la Franc-Comtoise Florence Guyot avait sa place, comme arbitre fédérale chez les « mecs ». Et j’ai en mémoire les combats qu’il a fallu mener pour maintenir Nelly Viennot à la touche d’un match de Première division (Paris SG - Martigues) avant qu’elle ne s’envole pour les Jeux Olympiques 1996 à Atlanta. La crédibilité de l’arbitrage féminin passe par le fait qu’elles soient désignées pour leurs qualités et pas pour leur genre et que l’on n’en fasse pas un produit marketing. Quel plus bel exemple que la désignation de Stéphanie Frappart pour la dernière finale de Coupe de France (FC Nantes Activité : club de football professionnel français Partenaires principaux : • Synergie (ressources humaines) : sponsor maillot principal, 2013-2026 • Macron (équipementier) … - OGC Nice Activité : club de football professionnel français Partenaires principaux : • Le Coq Sportif (équipementier) : équipementier officiel depuis 2023-24 • Ineos (chimie), sponsor maillot principal… , 1-0, le 07/05/2022) ?
Les arbitres du Val-de-Marne qui font grève après les agressions récentes de trois d’entre eux, qu’en pensez-vous ?
Le football n’a pas été inventé pour les arbitres, mais il ne peut pas se jouer sans eux »Ils ont raison. Je trouve que l’on ne rappelle pas assez que si le football n’a pas été inventé pour les arbitres, il ne peut pas se jouer sans eux. A sa naissance, les Anglais n’avaient pas prévu d’arbitre et ils se sont vite rendu compte que les joueurs ne pouvaient pas s’auto-gérer ni s’auto-discipliner. Le jour où l’on aura compris que le juge est un complice du jeu et pas un empêcheur de jouer, on verra les choses différemment. Il ne peut pas y avoir de sport sans passion, mais quand cette dernière l’emporte sur la raison, c’est la mort de ce qui, au niveau amateur, n’est qu’un jeu.
Je suis toujours amer de constater que notre football est le seul sport où l’arbitre est systématiquement contesté ou entouré »J’entends souvent les responsables, pour se donner bonne conscience, dire que le football est le reflet de la société où il y a beaucoup de violence et que, finalement, le pourcentage des incivilités est minime par rapport au nombre de matches. Mais c’est comme l’arbitrage et ses erreurs : une agression, c’est une de trop ! Le rugby, le handball ou le basket ne sont pas pollués par ces incidents qui font la une des gazettes et ils viennent bien pourtant de la même société française, non ?
Je suis toujours amer de constater que notre football est le seul sport où l’arbitre est systématiquement contesté ou entouré. C’est obligatoirement la facture à payer pour le laxisme antérieur sur les terrains et dans les sanctions. Un chiffre en dit plus long qu’un discours : il faudrait le double du nombre actuel d’arbitres pour couvrir toutes les rencontres (leur nombre a chuté de 25 000 à 20 000 entre 2016 et 2021). Il doit bien y avoir une raison !
La finale 2022. « Clément (Turpin) a eu la délicatesse de m’appeler pour partager avec moi sa légitime joie »
La désignation de Clément Turpin, 36 ans après votre finale de 1986, met-elle fin à une anomalie ?
Bien sûr. C’est incroyable qu’un pays comme la France ait attendu aussi longtemps. Clin d’œil de l’histoire, mon successeur est de la même Ligue (Bourgogne- Franche Comté) que moi et Clément a eu la délicatesse très appréciée de m’appeler en premier pour partager avec moi sa légitime joie.
Lui avez-vous donné des conseils ?
Le footballeur gagne par ses propres mérites et perd par la faute des autres »Surtout pas ! Je lui ai dit que c’était lui qui devait m’en donner, pour que je comprenne l’arbitrage moderne, tellement il a changé pour s’adapter aux mutations phénoménales du football. La seule piste que je lui ai donnée est de rester naturel le plus possible, même si c’est très difficile sur ce type de rencontre. Je lui ai rappelé que s’il réussissait son match, personne n’en parlera, sauf pour dire que c’est normal, compte tenu de son statut. Si par malheur il a des soucis, il sera jeté en pâture médiatique car c’est bien connu chez l’être humain en général et chez le footballeur en particulier, « on gagne par ses propres mérites et on perd par la faute des autres ». Je lui aussi souhaité qu’il me succède bien vite pour une finale de l’Euro (Michel Vautrot est le seul arbitre français a en avoir dirigé une : Pays-Bas - URSS, 2-0, à Munich, ALL, le 25/06/1988).
Aimeriez-vous être à sa place, au Stade de France ce samedi 28/05/2022 ?
Oh non ! Pour rester dans le rond central ? Il y a un temps pour tout. Autre époque, autres mœurs, autre football. Je vais vous faire une confidence : quand je repense à mes matches, je ne réalise pas que c’est moi qui étais avec le sifflet. J’ai l’impression que c’est mon frère jumeau. Je n’arrive pas à croire que j’aie pu faire face à autant de responsabilités avec courage… ou inconscience.
Vous êtes invité, bien sûr, pour encourager Clément Turpin au Stade de France ?
Une équipe TV du Qatar à Besançon »La reconnaissance envers ceux qui ont beaucoup donné au football français sans être élus n’est pas la qualité première de nos dirigeants de la FFF Fédération Française de Football , surtout pour l’arbitrage. Ce qui n’est pas le cas des journalistes si j’en juge par les appels reçus pour parler de « ma » finale. En juin (2022), il y a même une équipe TV du Qatar qui vient spécialement à Besançon (Doubs) pour un documentaire qu’ils préparent sur les arbitres des finales de Coupe du monde.
Mais vous n’en n’avez pas arbitré !
Exact et je leur ai dit ! Mais ils prétendent que j’aurais mérité d’en arbitrer une. Ils font donc une exception !
L’arbitrage français est-il aussi bon que celui de ses grands voisins étrangers ?
Notre arbitrage a perdu une génération »Maintenant oui. Comme le prouve cette finale de Clément (Turpin) qui sera à la Coupe du monde avec Stéphanie Frappart, qui enchaîne, elle, les premières dans ce monde d’hommes et qui m’épate par sa condition physique et son assurance. Benoît Bastien aurait eu aisément sa place au Qatar et le jeune François Letexier est très prometteur. Mais vous savez bien que l’herbe du voisin est toujours plus verte que la nôtre. Malheureusement - et je l’avais dit haut et fort- notre arbitrage a perdu une génération et n’a pas marqué de points dans sa réputation auprès des instances internationales, il y a une quinzaine d’années avec les magouilles détestables de certains.
Les désignations internationales sont-elles « politiques » ?
Les arbitres des “petits” pays sont défavorisés »Parfois, mais pas au sens que vous l’entendez. Difficile de mettre un arbitre israélien avec des équipes arabes ou un Arménien quand joue l’Azerbaïdjan et réciproquement. Le meilleur arbitre russe est hors-jeu, puisque victime collatérale de la guerre en Ukraine, sans parler du Turc Cüneyt Cakir, expérimenté mais qui a payé à l’international les problèmes au sein de la Fédération. Par ailleurs, les arbitres des « petits » pays sont défavorisés par leur manque d’expérience lié à la faiblesse de leurs championnats, comparé à ceux des grandes nations de football.
Joël Quiniou méritait d’aller au Mundial 86 au Mexique »Les arbitres font (malheureusement) parfois comme les clubs lorsqu’ils n’obtiennent pas les désignations dont ils rêvent en cherchant des excuses qui sont à mes yeux celles des faibles. Lorsque je n’ai pas été retenu pour le Mundial 1986 au Mexique, j’ai tout de suite dit que Joël Quiniou méritait d’y aller en étant plus fort que moi. J’ai toujours été triste de voir certains non retenus chercher des excuses « bidons » à l’encontre de ceux qui désignent, alors qu’eux s’offusquent (légitimement) d’être mis en cause par les clubs perdants.
On attend souvent dire que les pays n’ayant pas de membre dans la commission des arbitres sont défavorisés. J’ai fait toute ma longue carrière européenne sans avoir un membre français dans la commission ad hoc de l’UEFA Union des Associations Européennes de Football . Il n’en reste pas moins qu’il vaut mieux avoir un grand dirigeant haut placé qu’un petit moins décisif…
La finale 1986. « D’incroyables retombées grâce aux commentaires de Michel Drucker sur la 2e chaîne »
Quelle image conservez-vous de la finale 1986 de la Coupe d’Europe des clubs champions ?
L’incroyable prestation du gardien roumain, Helmuth Duckadam, pendant les tirs au but qui a écœuré les vedettes du Barça : quatre tirs, quatre arrêts. Et, il faut bien le dire, l’inattendue victoire d’un club de l’Est qui demeure le seul à avoir inscrit son nom au prestigieux palmarès de cette Coupe d’Europe. En ce qui me concerne, lors de mon retour en France, les retombées ont été incroyables grâce aux commentaires télévisés de Michel Drucker sur la « 2e chaîne », comme on disait à l’époque : il avait été dithyrambique sur l’équipe arbitrale de son pays (Michel Girard et Alain Delmer à la touche, Jean-Claude Swirog comme 4° arbitre). Ce que me rapportaient les gens était tellement flatteur que je n’ai jamais voulu regarder la cassette vidéo par peur de ne pas retrouver ce qu’ils m’en disaient…
La séance de tirs au but du 07/05/1986
(le document est faussement intitulé « European Cup Final 1985 » au lieu de 1986)
Vous attendiez-vous à cette désignation ?
Autant de chances d’arbitrer la finale que de gagner le gros lot de l’EuroMillions »Il ne faut pas être hypocrite : quand on est à un certain niveau international, on en rêve forcément. Mais il faut intégrer le fait qu’il y a plus d’appelés que d’élus et non seulement il faut cocher toutes les cases, mais les planètes doivent être parfaitement alignées. La première condition est de ne pas avoir de club de son pays et la seconde est de bien comprendre que d’autres la méritent tout autant que vous. En résumé, on a autant de chances d’être désigné pour la finale que de gagner le gros lot de l’EuroMillions. La preuve ? Clément Turpin n’est que le sixième arbitre français à recevoir ce redoutable honneur en 66 ans.
Mais comment expliquez-vous que vous ayez dû attendre 36 ans pour avoir un successeur français ?
On ne peut pas dire que nos arbitres ont été barrés par des clubs français »J’ai cru mourir sans le connaître et on ne peut pas dire, comme excuse, que nos arbitres étaient barrés par des clubs français… Cela prouve aussi que la concurrence est sévère et que même au plus haut niveau international, il faut encore ce petit « plus » (j’ai toujours dit que les petits détails faisaient les grandes différences) qui permet d’atteindre le graal. A mon époque où j’ai eu la chance de faire beaucoup de sommets dans nombre de compétitions, cela paraissait facile aux yeux des gens et cela, je l’avoue, m’agaçait un peu, car j’étais bien placé pour connaître les difficultés pour arriver au sommet et, surtout, ne pas tomber dans une crevasse.
Une seconde suffit pour n’être plus rien du tout ! »Les arbitres n’étant pas spécialement populaires par définition, il faut des années pour se faire un nom, davantage pour le prénom et une seconde pour n’être plus rien du tout ! On me dit aussi qu’il y avait moins de caméras, mais je peux vous assurer qu’une erreur manifeste était déjà vue par tout le monde. A mon âge, la gloriole est anecdotique, mais je suis assez fier fier -et chanceux- de ne pas avoir laissé de « casseroles » à l’occasion de toutes les finales que j’ai sifflées ici ou là.
Quelle était la prime UEFA pour cette finale ?
Pour une phase finale de Coupe du monde, tout le monde recevait le même montant »Je ne m’en souviens plus. En fait dans les compétitions internationales, il n’y avait pas d’indemnité : les officiels recevaient une prime (modeste) par jour d’absence du domicile, au titre du manque à gagner provoqué par ces absences. Pour une phase finale de Coupe du monde, par exemple, tout le monde recevait le même montant, qu’il dirige la finale, fasse la touche ou n’arbitre qu’un match… J’ai retrouvé dernièrement le document financier de ma finale de l’Euro 88 (Pays-Bas - URSS le 25/06/1988) où l’UEFA m’avait royalement versé en francs suisses l’équivalent de 450 francs (70 euros) par jour de présence en Allemagne (donc 280 € au total pour quatre jours !). Je disais souvent, en plaisantant qu’un arbitre gagnait… surtout à être connu !
Les temps ont changé. Cela ne vous fait-il pas regretter d’être venu au monde trop tôt ?
Ce que je n’ai pas appris dans les livres, c’est l’arbitrage qui me l’a enseigné »Pour l’argent de l’arbitrage ? Surtout pas ! J’ai toujours dit que je ne me voyais pas arbitre professionnel car en respirant l’arbitrage 24 h sur 24, j’aurais terminé en hôpital psychiatrique. Ce que je n’ai pas appris dans les livres par la faute de la maladie (deux années sans aller à l’école durant son enfance à cause de problèmes cardiaques), c’est l’arbitrage qui me l’a enseigné : j’ai découvert la planète et ses cultures différentes sans parler de gens formidables qui ont façonné ma personnalité. J’ai eu la chance d’avoir un métier pour gagner ma vie -et de bons patrons pour mes disponibilités !- et le sifflet pour découvrir la vie.
Éprouviez-vous une appréhension particulière avant cette finale ?
Les Roumains disaient que l’arbitre était aux ordres de l’UEFA »Oui, la peur de mal faire, de commettre l’erreur qui change le cours d’un match. Au-delà des compétences physiques et réglementaires demandées, la préparation mentale est capitale. Imaginez-vous sur le terrain au milieu de 22 grands joueurs, de 50 000 spectateurs avec la télévision qui diffuse dans le monde entier ! Il faut être capable de relativiser tout ça, en conservant le minimum d’adrénaline qui va vous tenir en alerte jusqu’au coup de sifflet final. Il faut se souvenir que la pression médiatique m’avait été mise du côté roumain où l’on disait que l’arbitre serait aux ordres de l’UEFA Union des Associations Européennes de Football qui ne voulait pas d’un club moins réputé que le FC Barcelone Activité : club de football professionnel espagnol Partenaires majeurs : • Nike (équipementier) : depuis 1998 ; 100 M€ (+ jusqu’à 50 M€ de bonus) par an sur le cycle 2018-2024, 127 M€ par an… . Et le match se jouait en Espagne, à Séville.
Avez-vous eu une préparation spéciale physique, technique et psychologique ?
Perdus dans Séville »Rien de tout cela. On se débrouillait par nous-mêmes comme pour un match « normal ». J’ai même vécu à Séville une préparation de match incroyable que ne vont pas croire nos jeunes arbitres. A l’époque, c’est la Ligue amateur régionale qui était chargée de nous recevoir et de s’occuper de nous. Le matin, après la réunion dite de « sécurité » avec les organisateurs et les deux clubs, nous avons été répartis dans deux voitures, conduites par des dirigeants provinciaux ne connaissant pas bien la ville, pour rejoindre le restaurant prévu. Michel Girard avec moi et les deux autres collègues (Alain Delmer et Jean-Claude Swirog) dans l’autre. Les deux chauffeurs se sont perdus dans les embouteillages et le nôtre ne connaissait pas le nom du restaurant (il n’y avait encore pas les téléphones portables). Après avoir tourné en rond pendant un temps interminable, il a fallu se rendre à l’évidence : nous étions perdus ! Et la traditionnelle préparation d’avant-match entre nous, il fallait l’oublier !
Steaua Bucarest (ROU) - FC Barcelone (ESP) : le début de la rencontre
Le responsable des arbitres a failli s’évanouir »Je savais que le repas officiel (jamais avec les arbitres) se tenait au Grand Hôtel Alfonso XIII et j’ai demandé à notre pilote de nous y conduire, ce qui ne fut pas un exercice facile. Là, j’ai rencontré René Éberlé, responsable administratif des arbitres à l’UEFA. Quand il nous a vus à cette heure et à cet endroit, il a failli s’évanouir…. Il nous a fait servir un repas dans une salle attenante et reconduire à notre hôtel pour retrouver nos deux Nordistes très inquiets, préparer nos sacs et partir au stade.
Du jamais vu pour une telle finale et il fallait quand même être performant sans chercher d’excuses car tout le monde s’en fichait ! Les arbitres n’ont jamais d’excuses à faire valoir…
Une finale de 120 minutes avec la prolongation, puis les tirs au but, est-ce que ce ne fut pas trop difficile physiquement pour vous ?
Ajoutez la chaleur et vous aurez compris que j’ai tiré la langue plus d’une fois. Mais à l’époque, il n’y avait pas les ballons multiples et quand celui du match partait dans les tribunes, je pouvais reprendre mon souffle !
Quelles furent les réactions des acteurs et du public ?
Cette fois, je vous serre la main. Bravo ! »Honnêtement je n’ai pas de souvenir négatif, malgré un match âpre (cinq cartons jaunes dans les 31 premières minutes de jeu) et très serré puisque le score est resté vierge. Au terme de la finale, il n’y avait pas le protocole festif actuel et je suis resté avec mes collègues dans le rond central en compagnie de Hans Bangerter (SUI), alors secrétaire général de l’UEFA Union des Associations Européennes de Football . Je l’ai pris par le bras en lui disant : « Vous reconnaissez celui qui vient vers nous ? » C’était le président du Panathinaïkos (GRÈ) qui était interdit de stade pour une longue période après m’avoir gravement menacé après l’élimination de son club face aux Italiens du Torino. Surpris par sa présence (il sponsorisait le Steaua), j’étais sur mes gardes quand il m’a approché, mais il m’a dit : « Cette fois, je vous serre la main. Bravo ! »
La visite d’un chauffeur routier roumain, 35 ans après »
Je ne peux passer sous silence les incroyables messages spontanés que j’ai reçus de Roumanie : des fleurs et des télégrammes à la maison car les fans avaient réellement cru que les arbitres seraient contre leur « petit » club qui venait d’une dictature. 20 ans plus tard, en 2006, j’étais observateur UEFA Union des Associations Européennes de Football à Bucarest (ROU) lors d’un match du Steaua contre Liège. A la mi-temps, j’ai été invité dans le salon du président qui m’a remis une plaquette « Après 20 ans, le temps est passé. Nous sommes toujours restés ensemble ». J’en ai eu les larmes aux yeux, tellement c’était un témoignage inattendu. L’hiver dernier, un chauffeur routier roumain a retrouvé mon domicile et 35 ans après, il voulait absolument me rencontrer et me faire signer le livre relatant l’exploit de son club de coeur. Merveilleux football !
Une dernière anecdote sur cette finale 1986 ?
Non, le fils de Ceausescu n’a pas tiré sur Duckadam »La rumeur qui s‘est transformée en légende à propos du gardien héroïque, Helmuth Duckadam. On a dit que le Real lui avait offert une Mercedes pour le féliciter d’avoir grandement contribué à l’élimination du rival barcelonais. Et que Nicu Ceausescu, le fils du dictateur roumain, avait voulu lui prendre. Devant son refus, il lui aurait tiré une balle dans l’épaule pour mettre un terme à sa carrière. Quand j’ai rencontré Duckadam en 2006, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et je lui ai demandé de me dire la vérité puisqu’il y avait prescription. « C’est faux. Si j’ai arrêté, c’est à cause de mes blessures provoquées par mes plongeons… »
Pour terminer, aviez-vous une devise comme arbitre ?
Je vous dirais bien le dollar, mais ce serait mal interprété… « Être pris au sérieux sans se prendre au sérieux » Elle me suivra jusqu’au bout car après tout, la mort n’est qu’un manque de savoir-vivre.
Le palmarès de Michel Vautrot
(Né le 23/10/1945)
⚽️ Coupe du monde 1982 : deux matches et remplaçant pour la finale.
⚽️ Coupe du monde 1990 : cinq matches, dont le match d’ouverture (Cameroun-Argentine), une demi-finale (Argentine-Italie) et deux comme juge de touche, plus trois comme réserviste.
⚽️ Euro 1984 : un match.
⚽️ Euro 1988 : deux matches, dont la finale (Pays-Bas - URSS).
⚽️ Finales de la Coupe du monde Juniors 1977, de la Coupe asiatique des nations 1988, de la Coupe intercontinentale des clubs 1983, de la Coupe d’Europe des clubs champions 1986 et de la Coupe de l’UEFA 1985 (match aller).
⚽️ Matches de sélections nationales A : 47.
⚽️ Matches de Coupes d’Europe : 50 (environ).
⚽️ Finales de Coupe de France : 5 (1979, 1982, 1983, 1984 et 1987, record).
⚽️ Matches de Division 1 : 355 (du 25/05/1971 au 22/05/1991).
Récompenses et hommages
⚽️ Chevalier de la Légion d’honneur (2009).
⚽️ Chevalier (1983), puis officier (1996) de l’Ordre national du Mérite.
⚽️ Prix Siena du meilleur arbitre FIFA Fédération Internationale de Football Association 1981 et 1982.
⚽️ 2 fois meilleur arbitre du monde (IFFHS
International Federation of Football History & Statistics (Fédération internationale de l’histoire et des statistiques du football)
• Fondée le 27/03/1984 à Leipzig (ALL).
• Enregistrée à Zurich (SUI)
) 1988 et 1989.
⚽️ 7 fois meilleur arbitre français (classement FFF) 1982, 1983, 1985, 1987, 1988, 1989 et 1990.
⚽️ 10 fois arbitre n° 1 (France Football) en 1979, 1980, 1981, 1982, 1983, 1984, 1986, 1987, 1988 et 1989.
⚽️ Prix Pierre-Paul Heckly de l’Académie des Sports « Meilleur dirigeant ou éducateur » 1990.
⚽️ Médaille de la reconnaissance du Sénat au titre du sport (1986).
⚽️ Oscar du « meilleur arbitre français », par les joueurs professionnels UNFP Union Nationale des Footballeurs Professionnels (1988).
⚽️ Personnalité non politique la plus représentative du Doubs (sondage TF1 1989).
⚽️ Grande plaquette d’Or de la Ligue Nationale de Football Président : Vincent Labrune (élu le 10/09/2020 pour la période 2020-2024, réélu le 10/09/2024 pour la période 2024-2028)Vice-présidents : Jean-Pierre Caillot (Stade de Reims) et Pablo Longoria… et Sifflet d’Or (LNF) et Médaille d’Or de la FFF Fédération Française de Football (1989).
⚽️ Oscar des oscars sportifs du quotidien régional L’Est Républicain (1991 et 1995)
⚽️ Plusieurs complexes sportifs ou stades portent son nom à Besançon, Saint-Vit et Gilley (Doubs), à Bouville (Seine-Maritime) et Lestrem (Pas-de-Calais).
⚽️ Deux places portent son nom à Dampierre (Jura) et Seveux (Haute-Saône).
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